L’image est folle. Puissante. Émouvante même. Celle des policiers de Portland, qui mettent un genou à terre en signe de solidarité avec les manifestants du mouvement Black Lives Matter. Ces derniers passent parmi eux, serrent des mains, sourient, applaudissent. Contraste saisissant avec les bâtiments en feu et les tirs à balles en caoutchouc de la garde nationale à Minneapolis. Une équipe de TF1, comme d’autres journalistes, a même essuyé des tirs avant d’être interpellée et placés en garde à vue quelques heures puis libérée.
D’un côté, les émeutes raciales et de l’autre, ces manifestations qui enflent aux USA, comme à Portland, mais partout dans le pays. 140 villes à l’heure où nous écrivons. Mais aussi à l ‘extérieur du pays, comme à Auckland en Nouvelle -Zélande avec un cortège impressionnant.
Black Lives Matter, quel slogan ! “Les vies noires comptent”. Quelle force mais aussi quel vertige. En fermant les yeux, nous pourrions croire que nous sommes revenus dans les années soixante, au pied de l’estrade où Martin Luther King a prononcé son simple et sublime “I have a dream“.
Comme si la conquête des droits civiques n’avait pas eu lieu. Comme si l’Amérique n’avait pas élu par deux fois Barack Obama. Comme si, en 50 ans, l’Amérique avait à peine avancé d’un pouce sur la question afro-américaine qui conjugue à elle seule toutes les inégalités : la population la plus précaire, la plus éloignée des soins médicaux et de l’ascenseur social, la plus délinquante. Cette triple malédiction nous saute au visage, nous, société blanche, européenne, qui n’avons pas réellement réglé cette question qui relève de la simple déclaration des Droits de l’Homme : tous les êtres humains naissent libres et égaux en droit. Ces émeutes américaines et ce mouvement qui enfle devraient nous faire réfléchir. Il n’y a pas qu’aux USA que les policiers commettent des bavures racistes. En France, la mort de Malik Oussekine, en 1986, tué par des policiers voltigeurs sous le règne des deux jumeaux diaboliques Pasqua/Pandraud avait provoqué un mouvement immense.
Rien ne doit être inutile. Et nous ne devrions pas regarder ce meurtre raciste, la réaction brutale de la garde nationale outre atlantique comme des événements extérieurs à nous-mêmes. Nos nations riches, même affaiblies par le covid-19, ont le devoir de traiter ces inégalités, de les réparer, et non pas de les glisser sous le tapis en attendant qu’un événement tragique fasse exploser une colère longtemps retenue. Sommes-nous si différents des USA ? La brutalité de la garde nationale est-elle si différente que les actes auxquels nous avons assisté pendant la crise des gilets jaunes et les manifestations contre la réforme des retraites ? Une balle en caoutchouc est-elle plus destructrice que des grenades de désencerclement ? Et la misère, la délinquance, le plafond de verre qu’on a tant de mal à percer dans certaines de nos cités sont-ils si différents des zones de pauvreté et de non droit du Bronx ? Assimiler tous les policiers américains à cet homme raciste qui a tué George Floyd est ridicule. Mais, à contrario, sanctionner très durement et soigner à la base la misère sociale et l’inégalité chronique est essentiel.
Une urgence rappelée sobrement par le fils de Martin Luther king sur Twitter “No justice, no peace“.
No justice, no peace. No justice, no peace. No justice, no peace.
— Martin Luther King III (@OfficialMLK3) May 30, 2020
(Part 2 of 2) pic.twitter.com/X8vGndptLZ
— The Oregonian (@Oregonian) June 1, 2020